Repérer les médicaments toxiques pour les soignants

Par Geneviève Perennou

Certains médicaments, en tant qu’exposition professionnelle, représentent un risque pour les soignants en raison de leur toxicité potentiellement. Ces propriétés nocives ont été identifiées à travers des études pharmacologiques et de celles portant sur leur utilisation à long terme chez des patients.

En Australie, les médicaments dangereux sont répartis en trois catégories : cytotoxiques (interférant avec la prolifération ou la réplication des cellules et présentant toutes les propriétés dangereuses), non cytotoxiques dangereux (non connus pour être cancérogènes mais pouvant présenter une ou plusieurs autres propriétés dangereuses), et dangereux pour la reproduction (pouvant affecter la fertilité, être tératogènes et/ou toxiques pour le développement) (Cancer Institute NSW, 2024).

À l’échelle internationale, ces médicaments sont classés comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ou catégorisés comme cancérogènes connus ou probables, et dangereux mais non cancérogènes (NIOSH, 2020).

Les médicaments administrés pendant 2 semaines dans des hôpitaux australiens

Une étude de cohorte rétrospective australienne a examiné les risques d’exposition professionnelle des infirmières et des sage-femmes à ces molécules dans divers contextes de soins de santé. Elle a été menée sur une période de deux semaines en 2023, au sein de six hôpitaux publics. Un total de 121 567 administrations de médicaments ont été enregistrées ; 5 % (6 054) de ces administrations concernaient des médicaments classés comme toxiques, impliquant 117 substances différentes.

 

Les résultats montrent que ces médicaments sont administrés dans presque tous les services hospitaliers, avec les taux les plus élevés observés dans les services d’oncologie en consultation externe (301/695 ; 43,3 %), en salle d’accouchement (13/86 ; 15,1 %) et dans les services de psychiatrie (404/4 011 ; 10,1 %).

Au cours de la période d’observation, 6 054 administrations de ces médicaments ont été réalisés, impliquant 117 molécules différentes. Les services de médecine et de gériatrie avaient un nombre significativement plus élevé d’événements d’administration de ces médicaments par rapport aux services de cancérologie, qu’ils soient hospitaliers ou ambulatoires (5,4 à 6,9 fois plus, p < 0,001).

Au total, 1 258 infirmières et sage-femmes ont été directement impliquées dans l’administration, la vérification ou la surveillance de la dispensation de ces médicaments à 996 patients (25,2 % des 3 958 patients ayant reçu un médicament pendant la période d’étude). La plupart des médicaments étaient administrés sous forme orale (89,6 %), 60,0 % par l’équipe du matin, 28,5 % par celle de l’après-midi et 11,4 % par celle de nuit.

Les antinéoplasiques, mais pas uniquement

Le personnel manipulant ces médicaments peut se retrouver exposé par absorption cutanée ou muqueuse, inhalation ou ingestion par contact main-bouche. Les environnements de soins de santé contaminés peuvent également être une source d’exposition pour tous les usagers. Des études ont montré que les infirmières manipulant des traitements antinéoplasiques avaient subi des dommages cytogéniques lymphocytaires, des dommages chromosomiques, et présentaient un risque accru de cancer du sein, de cancer du rectum, et d’avortement, ainsi qu’un taux d’infertilité plus élevé par rapport aux infirmières non exposées.

Les impacts sur la santé montrent qu’il faut être prudent non seulement avec les médicaments cytotoxiques, mais aussi avec d’autres médicaments potentiellement dangereux. Certains, comme la thalidomide, sont connus des infirmières et des sages-femmes. 

Cependant, beaucoup d’autres médicaments utilisés quotidiennement ne sont pas reconnus comme dangereux par ceux qui les manipulent. Il faut prendre conscience que 90 % des médicaments de cette étude ont été administrés par voie orale, mais leur voie d’administration nécessite souvent de manipuler des comprimés ou des gélules qui doivent être broyés ou dissous pour être avalés. Certains patients ont en effet, des troubles de déglutition, ou sont porteurs d’une sonde, ou encore ont des troubles cognitifs et des comportements d’opposition.

Le broyage des médicaments avec un mortier et un pilon peut provoquer l’aérosolisation et la dispersion des particules du médicament, exposant potentiellement le personnel à une inhalation ou une absorption cutanée dangereuse. Ce risque peut être atténué en utilisant des dispositifs de broyage contenant, en ajoutant le comprimé au véhicule liquide avant broyage, et en portant un équipement de protection individuelle (EPI) approprié. La dispensation d’une forme posologique appropriée alternative peut être facilitée par la communication entre médecins, pharmaciens, infirmières, orthophonistes et le patient.

Quelques limites

Cette étude a été réalisée dans un seul service de santé en Australie. Des études futures pourraient comparer les lieux d’administration des médicaments dangereux entre différents services de santé et pays. L’étude était rétrospective et n’incluait aucune intervention. La période d’étude se trouvait en dehors des vacances et des confinements dus à la Covid-19, ce qui rend les données probablement représentatives des pratiques régulières du service de santé.

Cette étude montre que les médicaments toxiques sont omniprésents dans les hôpitaux, exposant le personnel soignant à certains risques. Ces substances sont utilisées bien au-delà des services d’oncologie, avec une prévalence notable en médecine générale, gériatrie et psychiatrie. L’exposition à ces médicaments, même à faibles doses, peut entraîner des conséquences graves pour la santé, allant de dommages chromosomiques à l’augmentation du risque de certains cancers et de troubles de fertilité.

La manipulation fréquente de formes orales, souvent broyées ou dissoutes, nécessite une vigilance accrue et des pratiques de manipulation sécurisées. Ces constats appellent à une réévaluation des protocoles de sécurité et à une sensibilisation accrue du personnel soignant. 

References

P Wembridge, P.L Russo, E Manias, Clifford J. Connell. Where nurses and midwives are handling hazardous medicines in Australian hospitals: A retrospective cohort study, International Journal of Nursing Studies, September 2024. https://doi.org/10.1016/j.ijnurstu.2024.104889

JIM

 

 

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septembre 30, 2024

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