Létalité du Covid-19, un problème de fraction
Par Dr Peter Stratford
Le taux de létalité du Covid-19 n’a cessé de varier depuis le début de l’épidémie en Chine. Comme pour toutes les maladies infectieuses émergentes potentiellement létales, les premières estimations ont atteint des sommets avec des taux de 15 % dans les petites séries initiales qui ne comptaient que quelques dizaines de patients au plus. Par la suite, au fur et à mesure que les cas se multipliaient et faisaient l’objet de publications itératives, les valeurs ont chuté de manière quelque peu chaotique, passant de 14,3 % à 11,0 %, puis à 2,3 % et 3,4 % en Chine, selon les sources. Après que les frontières de ce pays ont été franchies en février 2020, le taux de létalité a chuté drastiquement et temporairement à 0,4 % pour fluctuer à nouveau par la suite jusqu’à une estimation de l’OMS qui l’a fixé à 3,4 %, selon des critères qui n’ont rien d’un gold standard.
Les explications ne manquent pas
Rien de bien surprenant à tout cela, comme le souligne opportunément une lettre à l’éditeur publiée le 27 mars en ligne dans le Lancet. De fait, nombreux sont les facteurs à interférer avec le calcul du véritable taux de létalité du Covid-19 : le virus est un nouveau venu, mais le pronostic ne dépend pas que de sa virulence. En effet, le risque de décès est également conditionné par les ressources et les capacités des systèmes de santé, en termes notamment d’unités de soins intensifs, de lits d’hospitalisation, de soignants, d’accès aux soins : autant de facteurs dont les effets sanitaires sont en outre modulés par le degré de préparation aux tempêtes épidémiques.
Aux facteurs précédents, vient s’ajouter la gestion de la crise sanitaire qui a largement varié d’un pays à l’autre en fonction de ses ressources et de son régime politique, des capacités à tracer les contacts et à contenir l’épidémie grâce à des mesures de quarantaine, d’isolement des cas infectés ou suspects et de confinement de toute une population appliquées avec plus ou moins de rigueur. La détection précoce de l’infection par le recours massif aux tests de dépistage par RT-PCR est également déterminante dans l’estimation du taux de létalité.
Le cas de Singapour est exemplaire : au 25 mars 2020, 631 cas confirmés et un taux de létalité de 0,3 %… au prix d’une gestion rigoureuse de la crise sanitaire combinant à l’extrême la plupart des mesures précédentes : un modèle qui ne saurait s’appliquer à tous les pays, loin s’en faut…
Le taux de létalité peut également augmenter brutalement et localement devant une arrivée massive de patients infectés qui vont saturer les USI et les lits hospitaliers d’autant plus facilement que les systèmes de santé concernés sont restreints ou pris au dépourvu : un scénario qui s’est déroulé dans la plupart des pays à l’heure actuelle et dans un passé récent.
Le dénominateur au cœur du problème
Le plus grand défi auquel est confrontée l’estimation précise du taux de létalité n’en reste pas moins le chiffre qui figure au dénominateur. Celui du numérateur est moins problématique, encore qu’il puisse varier d’un pays à l’autre pour des raisons politiques. Le (vrai) problème du dénominateur est : qui sont les patients infectés susceptibles d’y figurer ? Tout dépend de la définition de l’infection : formes sévères uniquement ? Formes peu symptomatiques, légères ou asymptomatiques révélées par la recherche précoce de la maladie dans la population la plus vaste qui soit ? Formes guéries de plus en plus nombreuses ? De la sorte, les valeurs figurant au dénominateur peuvent varier d’un facteur dix, voire plus, dans un sens ou dans l’autre. En Europe, les taux de létalité du Covid-19 varient de 0,5 % en Allemagne à près de 10 % en Italie : cette différence pourrait tenir en partie à une gestion bien différente de la crise sanitaire avec un impact lourd sur le dénominateur. Dans ces conditions, il semble illusoire d’accéder dans l’immédiat au vrai taux de létalité de la maladie qui se cache parmi une multitude de facteurs de confusion.
Le Diamond Princess : un cas d’école…
Une estimation relativement réaliste peut être obtenue à partir de l’expérience du Diamond Princess qui est ce navire de croisière, immobilisé entre le 20 janvier et le 29 février 2020 pour motif de quarantaine au large des côtes japonaises. Devant la découverte d’un cas de Covid-19, les autorités japonaises se sont opposées à l’accostage du bateau, de sorte que les 3 711 passagers et membres d’équipage ont été confinés pendant cinq semaines : une situation quasi-expérimentale de groupe fermé au sein duquel 705 participants ont été testés positifs au SARS-CoV-2 par RT-PCR devant l’apparition de symptômes évocateurs. Sept décès sont survenus, ce qui conduit à un taux de létalité de 0,99 %.
Les passagers à bord du Diamond Princess ne sont pas vraiment représentatifs de la population générale, dans la mesure où il s’agissait de sujets souvent âgés et favorisés. Dans des populations plus jeunes, le taux de létalité pourrait être encore plus faible ce qui reste à vérifier si l’on prend en compte d’autres facteurs que l’âge, par exemple le contexte socio-économique.
Certes la grande contagiosité du SARS-Cov-2 joue en sa faveur mais in fine les taux de létalité du Covid-19 semblent bien inférieurs à ceux du SARS de 2003 (9,5 %) et du MERS (Middle East respiratory syndrome) de 2013 (34,4 %), tout en étant bien supérieurs à ceux de la grippe traditionnelle (0,1 %). Les chiffres définitifs seront connus avec plus de précision en termes de mortalité… à la fin de la pandémie, mais tout prête à penser qu’ils seront voisins d’un pour cent, ce qui est énorme à l’échelle de la population mondiale désormais menacée dans sa totalité. A cet égard, il semble évident que la mortalité variera énormément d’un pays à l’autre en fonction des ressources et des capacités des systèmes de santé. Les calculs devront tenir compte d’un facteur géographique qui affectera autant le numérateur que le dénominateur du taux de létalité.
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