Assistants médicaux : ouverture des négociations entre hostilité et inquiétude

Par Aurélie Haroche

Paris, le jeudi 24 janvier 2019 – « Marché de dupes », «inquiétude », « fortes contraintes » : les communiqués des syndicats de médecins libéraux précédant l’ouverture (aujourd’hui) des négociations sur la mise en place des assistants médicaux laissent présager un climat hostile. Et si l’Assurance maladie a l’habitude de ces discussions sous tension avec les représentants des praticiens, l’ambiance a rarement été aussi morose.

Une rapide désillusion

Ne pouvant que constater combien les tâches administratives étranglent des médecins libéraux qui voient leur temps médical diminuer et qui sont nombreux à souffrir de symptômes d’épuisement professionnel, le Président de la République a préconisé la mise en place subventionnée de 4 000 assistants médicaux. Ainsi présentée, même si elle nécessitait d’être précisée, la mesure était séduisante et paraissait une bonne prise de conscience des attentes des médecins libéraux.

Mais rapidement, la désillusion s’est installée. Dans sa lettre de cadrage, le ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a énuméré une liste des conditions qui hérissent la plupart des syndicats. Pour pouvoir prétendre à l’aide à l’embauche d’un assistant médical il faudra exercer en cabinet de groupe et de manière coordonnée, augmenter sa patientèle voire ses plages horaires et être inscrit en secteur 1 ou adhérer à l’OPTAM (option de pratique tarifaire maîtrisée). Par ailleurs, l’aide sera dégressive.

Exclure les médecins isolés : un non-sens !

L’ensemble de ces critères suscite une profonde hostilité dans les syndicats qui ont signalé leurs réticences ces derniers jours. La réservation des subventions aux médecins exerçant en cabinet de groupe est d’abord unanimement considérée comme un non-sens. « Les médecins isolés doivent être soutenus en priorité, car ce sont les plus submergés de travail, surtout s’ils exercent en zone sous-dense » fait ainsi remarquer le Syndicat des médecins libéraux (SML) dans un communiqué publié aujourd’hui. Le patron de MG France, Jacques Battistoni lui fait écho : « Cela n’a aucun sens, ceux qui ont le plus besoin d’assistants médicaux sont justement les médecins isolés et surchargés de travail, notamment dans les déserts médicaux », remarque-t-il cité par L’Opinion. De son côté, le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) estime qu’il « est particulièrement troublant que les médecins en exercice isolé – théoriquement les plus intéressés par toute aide à leur exercice – en soient exclu ». (Sur ce sujet, nous vous invitons à participer à notre sondage dont les premiers résultats montrent le même sentiment d’absurdité chez nos lecteurs vis-à-vis de cette exclusion des médecins isolés. https://www.jim.fr/medecin/debats/sondage/question.phtml?cle_sond_question=484&gratuit=1).

Ubu Roi : faire travailler plus ceux qui travaillent déjà trop !

La nécessité de devoir faire progresser son activité est également perçue comme contraire à ce que les médecins avaient cru comprendre de l’esprit initial du dispositif. « Réclamer à des praticiens déjà débordés d’en faire plus pour toucher une aide à l’embauche et davantage ensuite pour pouvoir continuer à assumer les salaires une fois l’aide épuisée, montre combien le gouvernement et l’assurance maladie vivent en dehors des réalités de l’exercice libéral » analyse le SML qui observe encore qu’ « Inciter à la course à l’activité alors que l’heure est à la réduction des volumes à travers « l’efficience » et la « pertinence »  est contradictoire ». MG France juge de la même manière que « L’accès à un assistant médical ne peut en aucun cas être subordonné à une augmentation du nombre des actes réalisés par un médecin qui est souvent déjà en suractivité ».

Le dispositif doit être pérenne

Enfin, la dégressivité annoncée de l’aide aiguise la colère. « Comment justifier la dégressivité et la durée limitée d’une mesure censée renforcer la pérennité d’une activité médicale » s’interroge le SNJMG. « L’engagement des professionnels n’est pas envisageable si le dispositif mis en place n’est pas pérenne » assène encore MG France. Par ailleurs, au-delà de ces critiques qui font l’unanimité, certains syndicats pourraient vouloir se battre sur des points plus précis, comme l’exclusion des médecins de secteur 2 du système, qui est principalement un sujet de préoccupation pour le SML.

Vers des « bullshits jobs » ?

Outre les critères d’accès aux assistants médicaux, les missions de ces derniers devraient également être âprement discutées. Là aussi, les premiers éléments avancés par les pouvoirs publics déplaisent aux médecins libéraux. Le SNJMG est le plus vindicatif en la matière redoutant la mise en place de « bullshits jobs » soit précise-t-il « d’emplois précaires non valorisés ». « Alors que le SNJMG avait plaidé pour une variété de métiers correspondant à des formations précises et reconnues et à des missions clairement définies permettant aux médecins de mieux répondre à la prise en charge médico sociale des patients, le gouvernement propose des « petites mains » » s’irrite le syndicat.

Moins vives, les autres organisations jugent également que les tâches des assistants doivent être bien encadrées. « Les missions susceptibles d’être confiées aux assistants médicaux doivent englober les tâches administratives et l’accompagnement des patients en pré et post consultation » écrit le SML. Jacques Battistoni estime pour sa part que l’assistant médical ne doit « pas être exclusivement un soignant » (alors que selon des sondages sur des sites spécialisés, les aides-soignantes pourraient être nombreuses à être intéressées par ce nouveau métier).

Des négociations conclues d’avance

Ainsi, on le voit, les négociations considérées comme fortement contraintes, d’autant plus que pèse sur elles la menace d’une adoption législative au printemps en cas d’échec (menace déplorée par les syndicats), s’ouvrent dans un climat délétère. Il n’est guère pour l’heure de points qui semblent ouverts à la discussion, sauf peut-être la possibilité de réserver l’aide à certaines zones sous denses. L’ambiance est telle que certaines organisations pourraient même faire le choix de bouder les réunions : la Fédération des médecins de France (FMF) après la publication de la lettre de cadrage d’Agnès Buzyn s’est en effet insurgée : « La FMF ne voit aucun intérêt à participer à des séances de « négociations » hebdomadaires, pendant deux mois, pour un résultat préalablement fixé ». L’Union française pour une médecine libre (UMFL) qui non représentative n’est pas invitée à la table juge de toute manière pour sa part que les mesures discutées relèvent de la « pensée magique ».

Guère plus engageant du côté des CPTS

Ces augures défavorables sont d’autant plus inquiétants que les discussions autour des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui ont débuté la semaine dernière ne connaissent guère une atmosphère plus sereine. Là aussi, les contraintes, qui sont semblables à celles qui devraient prévaloir pour l’aide à l’embauche d’un assistant médical, sont considérées comme contre-productives. « Nous sommes des entrepreneurs libéraux, nous ne pouvons accepter un cadre obligatoire contraint, bureaucratique, dans lequel tous les médecins devraient s’engager pour bénéficier des soutiens à leurs efforts » prévient le patron de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le docteur Jean-Paul Ortiz, cité par L’Opinion. Il insiste encore : « Nous sommes préoccupés à l’idée que si un médecin n’entre pas dans une CPTS, certains éléments de sa rémunération actuelle puissent être amputés. Si c’est cela, c’est inacceptable ».

Le ton est donc à la vigilance. Le feuilleton commence.

JIM

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